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« Faire un musée d’art moderne dans un monument historique tel que l’Abbaye royale de Fontevraud est une gageure »

Rencontre avec Dominique Gagneux, Conservateur en chef du patrimoine au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

Conservateur en chef du patrimoine au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Dominique Gagneux a orchestré des expositions majeures en France et à l’étranger. 

Depuis le 1er mars, elle dirige le futur Musée régional d’Art moderne – collection  Martine et Léon Cligman de l’Abbaye royale de Fontevraud. Elle a notamment en charge l’inventaire de la magnifique collection que les époux Cligman ont cédé à l’État, et la création du musée. Rencontre. 

Que représente la création d’un musée dans une carrière de conservateur telle que la vôtre ?

C’est un très beau projet, très stimulant. Dans la vie d’un conservateur, c’est extraordinaire. Faire un musée d’Art moderne dans un monument historique tel que l’Abbaye royale de Fontevraud est une gageure. L’enjeu est aussi de rendre l’esprit de cette collection constituée par le regard d’un couple, dont l’épouse, Martine Cligman, elle-même artiste peintre et sculptrice, est issue d’une famille célèbre de collectionneurs. Mon souhait est de montrer comment on construit une collection avec des chefs-d’œuvre mais aussi des artistes moins connus. Ce n’est pas du tout le même processus que dans un musée où l’on expose des œuvres essentielles de l’histoire de l’art.

Pouvez-vous décrire la collection Martine et Léon Cligman ?

Ce qui est intéressant dans cette collection c’est qu’il y a un nombre important d’œuvres modernes du XXe mais aussi quelques œuvres du XIXe, ainsi que des antiquités, des objets d’arts d’Afrique, d’Océanie ou encore d’Extrême-Orient. Toutes ces pièces participent à créer un "musée imaginaire" comme celui qu’a décrit Malraux. S’il n’y a pas de frénésie accumulative, il y a en revanche des obsessions.
Par de-là les générations, on retrouve le regard d’André Derain, qui était un ami proche du père de Martine Cligman. C’est une collection plutôt figurative avec beaucoup d’œuvres intimes et de natures mortes. Elle est née d’un regard très savant, très cultivé sur l’art du XXe siècle ainsi que sur d’autres formes d’art. Bien qu’elle soit très variée, il existe un fil conducteur entre toutes les œuvres. C’est ce fil invisible que je veux essayer de montrer.

Que trouve-t-on plus précisément dans la première donation qui a été faite à l’État ?

Cette première donation, qui sera effective en juillet prochain, comporte 523 numéros, totalisant environ 600 oeuvres. Y figurent des grands noms comme Henri de Toulouse-Lautrec, Eugène Delacroix, Edgar Degas, André Derain, Albert Marquet, Maurice de Vlaminck, Emil Nolde, Chaïm Soutine, Roger de La Fresnaye, Robert Delaunay, ainsi qu’un ensemble très exceptionnel de sculptures de Germaine Richier, plusieurs oeuvres grandeur nature, des verreries de Maurice Marinot, et 52 objets extra-européens. Une deuxième donation sera faite directement à la Région à la rentrée, qui comprendra notamment une belle collection d’objets égyptiens.
Par ailleurs, Martine et Léon Cligman ont décidé de créer un fonds de dotation de 5 millions d’euros qui sera consacré à l’acquisition d’œuvres d’art pour compléter la collection.

En quoi l’Abbaye de Fontevraud se prête-t-elle bien à ce projet de musée d’Art moderne ?

L’Abbaye royale de Fontevraud est un lieu sublime avec une architecture magnifique. Le musée sera un beau contrepoint. Il sera installé dans la Fannerie, un bâtiment construit en 1786 pour entreposer le foin, qui est très intéressant car il a connu diverses réaffectations. Des étages ont été ajoutés au fil du temps. Aujourd’hui, il compte trois niveaux. Au rez-de-chaussée, se trouve notamment une très belle salle voûtée rythmée par des piliers, avec une belle charpente, qui servait de four. C’est là que nous allons intégrer les cimaises.

Comment voyez-vous ce musée ?

La scénographie du musée sera réalisée par Constance Guisset avec Amandine Peyresoubes. Et le projet architectural a été confié à Christophe Batard, architecte en chef des Monuments historiques. L’idée est de réaliser un musée inattendu qui surprendra le spectateur. Un principe d’assemblage et de dialogue entre peintures et objets guidera le parcours. Des œuvres de provenances différentes seront mises en regard, dans l’idée d’un cabinet d’amateurs. Un appareil pédagogique donnera un éclairage sur la place de ces œuvres dans leur propre histoire de l’art. (…) Le public aujourd’hui est très intéressé par l’idée de la collection. C’est une façon d’entrer dans l’intimité d’une personne.

Quel est le calendrier ?

L’ouverture aura lieu l’année prochaine 2019. Dans un premier temps, nous devons mener de front le travail de récolement et d’inventaire, le projet d’architecture et de scénographie, préparer la donation à la Région et enfin prévoir un chantier des collections préalable à leur installation dans le bâtiment de la Fannerie. Nous allons par ailleurs recruter un(e) régisseur et un(e) documentaliste, etc. Le délai est très court, il n’y a pas de temps à perdre !